Dans son travail La Littérature Grise, Caroline Fabès -ancienne étudiante à Amiens- a une approche très technique et analytique de la lettre. Celle ci s’intéresse tout particulièrement à la notion de gris typographique. Par définition, le gris typographique est une impression visuelle sur une page d’écriture; la proportion et l’équilibre qu’il y a entre le blanc et le noir des lettres. Or cette notion de gris typographique reste une notion encore approximative pour la graphiste. Quelle est la véritable surface occupée par une lettre ? C’est à cette question que l’étudiante va s’intéresser, au calcul exact du gris typographique.
Partant de la lettre pour enfin aboutir au livre dans son ensemble, son étude s’appuie sur deux polices de caractères : le Scala Regular et le Monospace OCR-B. Caroline Fabès mesure alors la quantité de noir de ces caractères définis par le tracé de la lettre pour traduire la proportion de noir et blanc de chaque lettre.
Ce travail volontairement mono-maniaque et laborieux s’apparente au travail du traducteur, la quantité de noir de chaque lettre est traduite en em, unité proportionnelle au corps de la police. Le scrupuleux protocole mis en place consiste à réduire la forme complexe d’une lettre en une forme géométrique (un rectangle, un disque ou un bloc) – en respectant et en utilisant son espace d’origine pour ensuite être numérisée en police. La lettre se résume dès lors à une forme géométrique exprimée en niveau de gris. La graphiste traduit un contenu typographique en une matière visuelle; dès lors une image se crée.
Caroline Fabès effectue ce travail de traduction à l’échelle d’un roman, celui de Gustave Flaubert Mémoire d’un fou. Ce choix est en corrélation avec son étude typographique, en effet cet écrit est teinté d’ironie dont les premières lignes sont «Pourquoi écrire ces pages ? À quoi sont-elles bonnes ?»
La mise à plat de l’ensemble de l’ouvrage aboutit à une conclusion : la valeur typographique de Mémoire d’un fou est de 10,5% en Scala et 8,5% en OCR-B de la surface des pages.
À travers ce travail méthodique et acharné, la graphiste nous dit l’importance du blanc nécessaire dans la page mais interroge aussi la notion d’idéal en matière de gris typographique dans sa proportion globale. La vision du texte devient alors une image. Effectivement, cette expérimentation exprime la volonté de considérer la typographie comme un élément de composition à part entière. Le passage de la lettre à une forme géométrique exprimée en niveau de gris permet d’une part, de hiérarchiser l’information selon la quantité de noir et de blanc. D’autre part, la lettre devenue forme géométrique préfigure comme un visuel à part entière, la typographie devient image.
Marion Thébault, DSAA, LAAB Rennes Bréquigny, avril 2012.
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