mardi 24 avril 2012

CAROLINE FABÈS - LITTÉRATURE GRISE





Dans son travail La Littérature Grise, Caroline Fabès -ancienne étudiante à Amiens- a une approche très technique et analytique de la lettre. Celle ci s’intéresse tout particulièrement à la notion de gris typographique. Par définition, le gris typographique est une impression visuelle sur une page d’écriture; la proportion et l’équilibre qu’il y a entre le blanc et le noir des lettres. Or cette notion de gris typographique reste une notion encore approximative pour la graphiste. Quelle est la véritable surface occupée par une lettre ? C’est à cette question que l’étudiante va s’intéresser, au calcul exact du gris typographique.
Partant de la lettre pour enfin aboutir au livre dans son ensemble, son étude s’appuie sur deux polices de caractères : le Scala Regular et le Monospace OCR-B. Caroline Fabès mesure alors la quantité de noir de ces caractères définis par le tracé de la lettre pour traduire la proportion de noir et blanc de chaque lettre.
Ce travail volontairement mono-maniaque et laborieux s’apparente au travail du traducteur, la quantité de noir de chaque lettre est traduite en em, unité proportionnelle au corps de la police. Le scrupuleux protocole mis en place consiste à réduire la forme complexe d’une lettre en une forme géométrique (un rectangle, un disque ou un bloc)  – en respectant et en utilisant son espace d’origine pour ensuite être numérisée en police. La lettre se résume dès lors à une forme géométrique exprimée en niveau de gris. La graphiste traduit un contenu typographique en une matière visuelle; dès lors une image se crée. 







Caroline Fabès effectue ce travail de traduction à l’échelle d’un roman, celui de Gustave Flaubert Mémoire d’un fou. Ce choix est en corrélation avec son étude typographique, en effet cet écrit est teinté d’ironie dont les premières lignes sont «Pourquoi écrire ces pages ? À quoi sont-elles bonnes ?»
La mise à plat de l’ensemble de l’ouvrage aboutit à une conclusion : la valeur typographique de Mémoire d’un fou est de 10,5% en Scala et 8,5% en OCR-B de la surface des pages.
À travers ce travail méthodique et acharné, la graphiste nous dit l’importance du blanc nécessaire dans la page mais interroge aussi la notion d’idéal en matière de gris typographique dans sa proportion globale. La vision du texte devient alors une image. Effectivement, cette expérimentation exprime la volonté de considérer la typographie comme un élément de composition à part entière. Le passage de la lettre à une forme géométrique exprimée en niveau de gris permet d’une part, de hiérarchiser l’information selon la quantité de noir et de blanc. D’autre part, la lettre devenue forme géométrique préfigure comme un visuel à part entière, la typographie devient image.

Marion Thébault, DSAA, LAAB Rennes Bréquigny, avril 2012.

LE LI-BEL UNE NOUVELLE MATÉRIALITÉ DU LIVRE

 Tassiana Nunez Costa crée le Li-bel (1), marque-page intelligent. Cet objet fait le lien entre le livre imprimé et l’univers numérique. 
L’étudiante s’inscrit dans un contexte de transformation éditoriale générée par l’avènement du web et des technologies qui s’y réfèrent et promet ainsi de restructurer l’industrie éditoriale. Au sein des conséquences de cette mutation, on constate notamment un changement de support de lecture qui bouscule le mode d’existence des textes. En effet aujourd’hui le livre imprimé est concurrencé par le livre numérique, c’est la digitalisation de l’édition qui passe à travers la métamorphose du livre et sa tangibilité.
L’inscription du texte dans une nouvelle matérialité suscite des interprétations, compréhensions et usages différents. Dès lors, une nouvelle génération d’éditeur va émerger. En effet, certaines maisons d’édition vont radicalement changer leur fonctionnement, par exemple les éditions i-Gutemberg vont ainsi évoluer de l’édition imprimée à l’édition numérique. Or cette adaptation va engendrer des bouleversements dans la chaîne du livre et ainsi soulever de nombreuses controverses, notamment chez les libraires qui vont voir la diminution de l’achat de livres si ceux-ci ne proposent pas de livres numériques comme l’affirme Lorenzo Soccavo (2). On remarque en effet que la transmutation d’acquis vers d’autres déclenche très souvent de la résistance.


Cependant on observe l’émergence d’innovations hybrides, qui cherchent à développer des passerelles entre livre imprimé et numérique et ainsi les considérer comme complémentaires et non dissociés. 
Le projet Li-bel de Tassiana Nunez Costa trouve toute sa place dans ce contexte éditorial en pleine mutation. Ce marque page intelligent est une tablette numérique équipée d’un écran tactile en papier électronique qui se place sur le livre imprimé et reconnaît alors le contenu du livre. On pourrait résumer cet objet à un assistant de lecture basé sur l’association des supports, papier et numérique. En effet le Li-bel propose un contenu supplémentaire au livre, il apporte un complément d’information au lecteur et donne au papier la richesse de l’hypertexte. Le cheminement à travers le texte n’est plus linéaire, la lecture devient navigation, exploration et repérage. Cet objet se combine au livre pendant la lecture et propose des informations complémentaires au récit telles que des images, des sons, des vidéos et des textes de référence, c’est la lecture augmentée.


Le livre numérique peut ainsi conquérir un public seulement s’il ne se réduit pas à une simple copie numérique de sa version papier et se trouve en réelle corrélation avec le livre numérique et non en opposition. Il semblerait cohérent que pour stimuler la lecture sur écran, la numérisation d’un livre doive occasionner une valeur ajoutée, comme par exemple l’interactivité entre lecteur et support ou encore la présence de sons et d’images.
On constate qu’un changement de format entraîne parallèlement un changement de contenu. Il s’agit de mettre en avant de nouveaux modes d’écriture qui vont permettre d’aboutir à des ouvrages susceptibles d’attirer de nouveaux lecteurs. Ces nouveaux modes d’écritures renvoient à une logique de création nouvelle. Ainsi, le numérique favorise l’émergence d’une écriture inhabituelle, interactive et multimédia. Les éditions volumiques (2) ont pour volonté d’expérimenter et de rechercher des imbrications possibles entre le papier et le numérique et ainsi de reconsidérer le livre papier en corrélation avec les nouvelles technologies. Ces expériences explorent les possibilités de lire autrement, exploiter les qualités intrasèques du livre pour générer un récit novateur dont sa découverte est inhabituelle.

Pour terminer, il semble juste de remarquer que nous sommes entrés dans une ère de coexistence entre livre papier et livre numérique. Alors que ce dernier n’a encore atteint qu’une forme embryonnaire, il paraît évident que l’édition papier est amenée à évoluer. D’ailleurs, Sophie Van Der Linden (3) observe avec justesse : «L’un des effets bénéfiques de cette nouvelle concurrence est certainement le retour d’une attention à la matérialité du livre.» (4). Il est aussi intéressant de remarquer qu’une transformation technique ne veut pas toujours dire une substitution totale, dans la mesure où elle n’engendre pas nécessairement l’oubli de la technique qui préexiste. Le développement de ce support reste encore incertain mais nourrit toutes sortes de projections afin de repenser et réinventer le livre.

Marion Thébault, DSAA, LAAB Rennes Bréquigny, avril 2012.



(1)  Li-bel, prototype d’un marque page numérique, crée par NUNEZ COSTA (T), ancienne étudiante de l’ENSCI.

(2) SOCCAVO (L), Aux Rendez-vous du numérique : Une Nouvelle génération d’éditeurs, Rennes, La Cantine numérique, 16 novembre 2011.

(2) Les Editions volumiques, maison d’édition fondée par DUPLAT (B) et MINEUR (E).
(3) VAN DER LINDEN (S), (en ligne), http://blogsvdl.canalblog.com/




BIBLIOTHEQUE NATIONALE DE FRANCE - MITTERAND


Basé à Paris, l’atelier Polygraphik fut fondé il y a deux ans par la graphiste Juliette Cheval et le designer Sébastien Nicot. Leur définition du terme polygraphique est la suivante «se dit d’un être ou d’un objet enclin au multiple, qui s’apparente à l’hybridité, au combinatoire. D’un être ou d’un objet qui tend à la métamorphose et au changement plutôt qu’à la permanence et à l’immobilité.» (1) Leur démarche est perméable à différentes disciplines. En effet, la complémentarité est pour eux essentielle. Polygraphik collabore avec des architectes, des scénographes, des écrivains, des photographes, des programmeurs etc. pour des projets expérimentaux comme pour des projets de commande. Leur objectif étant d’arriver à créer des passerelles des uns aux autres afin de nourrir leur réflexion et créations.


Restructurant ses espaces d’accueil et en attente d’une nouvelle signalétique, la Bibliothèque nationale de France a fait appel au duo afin de «corriger» la signalétique existante et d’améliorer sa lisibilité pendant les quelques années précédent cette rénovation, le tout dans un soucis d’économie de moyens. 
À la façon d’un texte en relecture, les stèles présentent aujourd’hui des ratures, des corrections et des annotations en jaune. Chaque stèle est annotée par des éléments en adhésif opaque jaune posés en face avant. 
Ils reprennent et interprétent les notes d’un manuscrit en re-lecture, affirmant ainsi clairement une étape intermédiaire dans cette restructuration des espaces. À l’arrière avec un adhésif dépoli, ils viennent soutenir les informations existantes et les rendre plus lisibles; la signalétique se lit donc en deux temps.



Laisser les erreurs apparentes reste une démarche peu exploitée dans le graphisme. En effet, à l’ère numérique où la pratique presque systématique des logiciels tels que Photoshop, on constate que la notion de beau est largement mise en avant. Le défaut est gommé et l’image devient lisse, dénuée d’imperfection. Cette démarche très usitée en publicité fait ses preuves. Jean-Paule Goude, illustre artiste, manipulateur d’images, tour à tour illustrateur, directeur artistique, photographe et réalisateur possède une démarche du beau. Christian Caujolle (2), dira à propos de la démarche de l’artiste: «il est en quête permanente d’un fait que peu savent nommer aujourd’hui : la beauté.» L’artiste sublime l’image, ainsi la femme devient un mythe, une créature de rêve. De façon formelle Jean-Paul Goude utilise le montage photographique. Chaque montage est construit selon cette notion de beauté et pour cela aucune anomalie transparaît.

Cependant, on peut remarquer aujourd’hui certains graphistes s’autorisant l’erreur, et même faisant intervenir celle-ci dans le processus de création.
L’erreur ne devient plus un handicap, mais une zone d’expérimentation, elle n’est plus une perte de temps, ni une mine de déroute.

L’étudiant Killian Loddo cotoîe de près les notions d’indécision et ainsi d’erreur dans son projet de diplôme (3). Ce dernier met en forme le poème de Mallarmé, Un coup de dés n’abolira jamais le hasard, l’aléatoire et les erreurs se manifestent par un non choix dans les supports, une superposition des formats, et une illisibilité du texte orchestrée par les fonctions des outils informatiques.

Tout comme cet étudiant, le studio Polygraphik cherche à s’approprier leurs erreurs et ainsi les faire participer dans la création. Ce qui devient paradoxal, c’est que ces essais se trouvent confortés par une beauté, une évidence formelle. L’erreur n’est donc pas à nier, elle fait force dans le processus de création, et conduit à une réponse graphique aboutie et esthétique.

Marion Thébault, DSAA, LAAB Rennes Bréquigny, avril 2012.


(1) Cheval (J) et Nicot (S), définition subjective du binome (en ligne), disponible sur: http://www.polygraphik.com/index.php?/infos/-polygraphik/, consulté le

(2) Caujolle (C) fondateur de l’agence et de la galerie Vu.

(3) Loddo (K), étudiant en DSAA à Nevers en 2009.





LITTLE PRINTER


Le studio Londonien Berg présente un nouvel objet, la Little Printer. Une imprimante thermique au format très réduit, connectée au Web sans fil. Celle-ci permet à son utilisateur d’imprimer les derniers titres d’actualités, des penses bêtes, des jeux...



Cette imprimante fonctionne grâce aux flux RSS et une application sur Smartphone. Un contenu est produit automatiquement en fonction des mises à jour de l’utilisateur; l’application propose différentes catégories à remplir ou sélectionner rapidement par l’utilisateur : jeux, rendez-vous...
Dès lors Little Printer met en page ce contenu et l’imprime aussitôt. Ainsi, les informations sont clairement lisibles et permet à l’utilisateur de se créer des notes pour la journée, ordonnées et utilisables rapidement. 
La mise en page et l’impression instantanée soulève le problème de la hiérarchisation de l’information. En effet ce mini-journal s’imprime sous forme de liste, ainsi toutes les informations se trouvent au même niveau, cette dernière n’est pas hiérarchisée; ainsi une grille de Sudoku sera aussi lisible que les réunions de la journée. Peut-être est-ce le reflet d’une journée linéaire qui s’écoule à la manière d’une liste, où tous les évènements ont leur importance. Faire un sudoku aurait-il moins de valeur qu’un rendez vous chez le coiffeur ?



Cette imprimante cubique, reste très simple d’utilisation de part sa technique d’impression thermique -l’utilisateur n’a pas à recharger celle ci de cartouche d’encre- mais aussi grâce à sa transportabilité. à tout moment, il est possible d’imprimer un contenu précis et ciblé, le partager, l’enrichir soi même au stylo, et aussi l’épingler rapidement au mur. 
Dans une société où le microscopique occupe une place prépondérante, notamment dans le développement des nouvelles technologies, la Little Printer y trouve toute sa place avec sa taille adaptée au support auquel elle se rattache.



Ainsi rester en lien direct avec le net, mais sur le support papier est possible ! La Little Printer très simple et rapide d’utilisation, vient comme le prolongement du Smartphone, comme un kit permettant de recevoir de l’information instantanément.
Peut-être est-ce le contre pied de l’édition imprimée qui aujourd’hui évolue vers le livre numérique. Ici cette imprimante propose un cheminement inverse, imprimer un contenu numérique sur papier. Il y a une réelle interaction entre le support papier et le téléphone portable. C’est ce rapport entre le numérique et papier qui questionne les éditions Volumiques (1) « une maison d’édition dédiée au livre en papier considérée comme une nouvelle plateforme informatique mais aussi un laboratoire de recherche sur le livre, le papier et leur rapport avec les nouvelles technologies. » (2) Le projet I Pirate, est un jeu interactif entre un jeu de plateau et le téléphone portable. Le téléphone devient un vaisseau naviguant sur les océans et en conservant la mémoire de ses exploits passés.

Finalement, cette micro imprimante devient un objet ludique à la croisée de la technologie et du support papier.

Marion Thébault, DSAA, LAAB Rennes Bréquigny, avril 2012.


(1) MINEUR (É), DUPLAT (B.), fondateurs des Éditions volumiques.

(2) MINEUR (É.), Citation (en ligne) disponible sur http://www.volumique.com/fr/








FRANCOIS BOLTANA






François Boltana, né en 1950 et mort en 1999 à Toulouse, est un calligraphe et créateur de caractères français. 
Celui-ci vécu la typographie à son instant probablement le plus décisif. En effet la France des années 1950 dans laquelle il naît connaît une période de renouveau typographique sous l’impulsion de personnalités comme Roger Excoffon, Adrian Frutiger ou encore Maximilien Vox. La typographie prend part désormais du quotidien, elle est présente dans le métro, les aéroports, la ville... Il y a désormais une réelle attention portée à celle-ci; la typographie est dorénavant sobre et fonctionnel, pour une reconnaissance immédiate et une lisibilité maximale.
Élève du Scriptorium de Toulouse à 18 ans, il publie ses premiers caractères dans la prestigieuse maison Hollenstein dès l’âge de 22 ans et son premier caractère international à 23 ans chez Letraset, le Stilla, qui incarne à lui tout seul le psychédélisme débridé des années 1970, en plein âge d’or de la photocomposition.
Ensuite, graphiste indépendant de 1975 à 1997, directeur artistique à partir de 1997, il poursuit une recherche approfondie, notamment sur la numérisation informatique de polices calligraphiques (Champion) alors que l’informatique n’en est qu’à ses débuts. Il est l’un des premiers créateurs de caractères à commercialiser directement ses œuvres.

Boltana, ou la révolution de la typographie numérique

François Boltana a ouvert la voie de la typographie moderne, alliant le geste calligraphique à une virtuosité technique et technologique. Il décode en 1989 la calligraphie de l’Anglais Joseph Champion et en propose l’année suivante une version complète et informatisée – c’est l’OpenType avant la lettre. En effet il a été un précurseur de l’OpenType, de la fonderie personnelle et indépendante, du souci de protéger son travail de créateur et d’auteur. Il fut aussi parmi les tout premiers créateurs de caractères à vendre directement ses polices de caractères, ouvrant la voie à la typographie indépendante telle que nous la connaissons aujourd’hui.



Il semblerait que François Boltana ait ouvert un sillon à travers les recherches de Mendoza ou Excoffon. Celui ci s’est imposé dans cette période de transition, entre cet âge d’or révolu et notre présent numérique.

«François Boltana incarne de façon singulière cette transition car il l’a abordée un peu par nécessité, un peu par accident, par passion, résolument, et non selon un dessein préconçu.» affirme Frank Adebiaye, auteur de François Boltana (1).  La typographie, Boltana l’a apprise et conçue par un sentiment d’urgence, guidé par un instinct d’un ébranlement inéluctable; très certainement, François Boltana a crée dans cette conviction que la typographie évoluait.


Cet instant décisif fait part de l’expérience fulgurante de la limite en typographie. À quel point la machine peut-elle imiter le mouvement de la main ? À quel point deux signes adjacents peuvent-ils se mêler l’un à l’autre, sans déroger aux règles de la lisibilité ? À quel point une création typographique peut-elle devenir une création personnelle ? Ce sont ces questions auxquelles se confronte Frank Adebiaye dans son ouvrage (1).
Boltana s’est lancé dans la typographie numérique, mû non par des considérations techniques, mais porté par une envie d’indépendance. C’est un fil conducteur, dans l’ensemble de son travail. 
On remarque, à l’image des autres pionniers de la typographie numérique (Emigre et Adobe), Boltana ne tombe pas dans une redite de l’écriture manuelle. Il a su introduire au contraire une forte dose de subjectivité et de sensibilité. C’est un typographe, formé à toutes les techniques de la calligraphie ayant su manier l’outil informatique. On constate en effet que la Stilla (sa typographie la plus connue) illustre ce double tranchant de part sa liberté de la graphie exprimée à travers l’outil informatique permettant notamment des pleins et déliés esthétiques.


On remarque que les problèmes que dut résoudre Boltana en son temps sont les nôtres aujourd’hui à commencer par le problème des licences et de la commercialisation des caractères typographiques au sein d’une structure indépendante.
François Boltana préfigure parmi les premiers à allier la maîtrise de la calligraphie à l’aisance technologique dans la plus grande tradition de la lettre latine.

Pour terminer, on constate que c’est avec justesse, précision et d’exactitude, que François Boltana transpose en courbes de Bézier une écriture agile et calligraphique. à travers l’outil informatique, Boltana n’a pas perdu son expressivité ni même sa virtuosité, mais la technologie lui a permis une plus grande liberté de création. 

Marion Thébault, DSAA, LAAB Rennes Bréquigny, avril 2012.

(1) François Boltana et la naissance de la typographie numérique par Franck Adebiaye et Suzanne CARDINAL aux édition Atelier Perrousseaux.




lundi 23 avril 2012

(RED), une identité visuelle engagée

(RED) est une entreprise créée par le chanteur Bono (U2) et le producteur et conseiller municipal Bobby Shriver en 2006. Son but est l'éveil des consciences sur l'épidémie de sida en Afrique ainsi que fournir un flux monétaire durable vers le Fonds mondial de lutte contre le sida, la tuberculose et le paludisme. 
L'identité visuelle de RED est composée d'une linéale et comporte des parenthèses.Son nom a été choisi car 
le rouge suggère habituellement l'urgence. Elle donne lieu à un concept typographique totalement novateur basé sur la création de la marque (PRODUCT) RED qui va introduire un partenariat avec les marques les plus visibles (Apple, Converse, Coca Cola, ...) au nom de la bonne cause (un pourcentage ou un montant fixe des profits est donné au Fonds mondial). Le logo du partenaire est positionné entre les parenthèses caractéristiques et RED est placé en exposant. Les marques emblématiques se muent alors en un véritable label fort et engagé. Le logo de RED réussit, par sa simplicité et son originalité, à se fondre littéralement dans les logos des marques les mieux contrôlées pour mettre en valeur la fameuse dominante rouge qui tranche littéralement avec le vert de Starbucks par exemple, ou encore le bleu d'American Express. D'authentiques nouvelles identités visuelles sont ainsi crées et le principe est également décliné sur d'autres produits, tels que des t-shirts aux inscriptions significatives ("INSPI(RED)" , "ADMI(RED)", "INC(RED)IBLE"... ), qui place l'identité visuelle comme la parfaite association entre consumérisme et altruisme.

Baptiste Bourre, DSAA, LAAB Rennes Bréquigny, avril 2012.































L'affiche de cinéma, revue et corrigée par Patrik Svensson

Patrik Svensson est un illustrateur et un graphiste suisse ayant toujours eu une passion débordante pour l'industrie du cinéma. C'est pourquoi il a réalisé une série de posters cinématographiques non officiels (plutôt des hommages) ayant la particularité d'être uniquement conçus avec de la typographie. Ce choix se place dans la suite logique des origines suisses du graphiste; la Suisse ayant toujours été synonyme de haut lieu de la typographie. D'ailleurs, il est important de relever que les constituants essentiels de la typographie Suisse (dite de "style international") sont présents dans son travail : le dépouillement, l'objectivité, les lettres sans-serif, le noir et blanc (souvent présent dans les photographies des affiches suisses) et bien entendu l'utilisation de la typographie qui dépasse le simple statut de texte pour devenir un élément essentiel, un véritable visuel moteur des affiches. Ainsi, Svensson se place dans la continuité des grands tels que Paul Rand ou Jan Tschichold et leur typographies-images asymétriques, mais il lorgne aussi du côté des Calligrammes1 d'Apollinaire dans lesquels la typographie devient véritablement image.
D'un minimalisme percutant, la typographie-image prend soudainement une dimension nouvelle en synthétisant de façon extrêmement claire (là était toute la difficulté) l'ambiance et l'imagerie des films en question. Avec son graphisme épuré, Svensson livre un travail immensément plus efficace et intéressant que n'importe quelle affiche officielle, " photoshopée ", retravaillée, laissant la place à 99,9% aux visages de ses " bankables " acteurs principaux, tous beaux, tous propres... Ici, il n'est plus question de faire écho à un visage adulé de tous et commercialement prometteur, mais de faire appel à des émotions authentiques : de la gravité et de l'horreur (les exécutions de La liste de Schindler, les victimes du tueur de Seven), de l'interrogation (" A qui appartiennent ces pas sur l'affiche de Usual Suspects ? "), de la provocation (les parenthèses de Basinc Instinct ne vous rappellent rien ?), du dynamisme et du mouvement (les initiales de Karate Kid, savamment utilisées pour évoquer les combats)... Svensson joue avec l'imagination du spectateur avec cette volonté de suggestion et de complicité. En effet, celui qui n'a jamais visionné tel ou tel film se questionnera sur le pourquoi du comment; son interrogation va être stimulée par ces mots-images insolites et subtils alors que celui qui connait regardera ces affiches avec des yeux amusés et complices; le regard de celui qui sait déjà, qui a déjà vu mais qui aime se rappeler. En ce sens, son travail peut évoquer celui d'Albert Exergian et ses affiches-hommages aux séries télévisées cultes dans un style minimaliste et évocateur2.

Baptiste Bourre, DSAA, LAAB Rennes Bréquigny, avril 2012.

1. Guillaume Apollinaire, Calligrammes, poèmes de la paix et de la guerre 1913-1916, Mercure de France, 1918.
2. Le directeur artistique Albert Exergian a réalisé une série de posters minimalistes représentant, par des symboles simples, les séries télé les plus populaires. 





 




Hansje Van Halem


L’apparition de l’ordinateur et des nouvelles technologies associées a apporté des changements drastiques dans la manière dont les typographies ont été conçues et utilisées. Les graphistes et typographes craignaient alors que cette mécanisation entraîne la disparition des normes établies et des règles typographiques. Pour répondre à ces évolutions qui menaçaient la façon traditionnelle de travailler des concepteurs graphiques, il était évident qu’ils repensent leur façon de concevoir la typographie. C’est ce que fit Hansje Van Halem, designer graphique originaire d’Amsterdam, passionnée de dessin de lettres, d’édition et d’imprimés de toutes sortes. 

Halem (Hansje Van), affiche pour la galerie W139, 2009.

En 2003, après l’obtention de son diplôme à la prestigieuse Gerrit Rietveld Académie, elle décide de se lancer en tant que designer graphique indépendante. Son travail, basé essentiellement autour de la conception de typographies, se distinguera alors en plusieurs phases. Après l’utilisation presque méthodique de la palette graphique et de la conception infographique, elle se tournera petit à petit vers un univers plus proche des techniques traditionnelles de dessin et investira le médium numérique en parallèle de son travail manuel. Son approche plastique du dessin de lettres devient alors, selon elle, une manière d’entrevoir une liberté de mouvement, une finition beaucoup plus naturelle et moins mathématique. 

Parmi les travaux les plus représentatifs de son univers, l’alphabet complet Doily (2009) confirme son désir de créer manuellement ses propres alphabets. Constitué entièrement de lettres dessinées au stylo à pointe fine, il développe une gestuelle ornementale forte et joue avec les pleins et les vides. Sa déclinaison sous forme d’affiche pour la galerie W139 confirmera l’intensité de ce vocabulaire graphique et la place importante accordée aux détails. Toujours dans un souci de subtilité et d’appréciation de la finesse du dessin de ses caractères, Hansje Van Halem s’efforcera alors de conserver une échelle assez importante et de ne réaliser ses graphismes qu’en noir et blanc, préférant la couleur sur le papier lui-même. Dans la lignée de ce projet entièrement réalisé à la main, l’affiche pour une exposition de Job Wouters à la galerie Schrank8 (2010) justifiera son envie de donner davantage de relief et d’envergure à des objets de communication.

Halem (Hansje Van), affiche pour une exposition de Job Wouters à la galerie Schrank8, 2010.

Halem (Hansje Van), Typographie Doily, 2009.

Alors que certaines typographies semblent être réalisées de manière aléatoire et incontrôlée, elles sont en fait le symbole d’un calcul, d’un rythme et d’une création systémique. On peut le voir notamment à travers son alphabet ForgeType (2006) réalisé pour une commande et appliqué dans un livre. À première vue conçue avec un geste nerveux, cette typographie est en fait le témoin d’une « énergie électrique » dessinée numériquement. 
Elle dépeint alors un ensemble de contrastes, de saturation et de texture.

Cette dernière notion sera d’ailleurs le procédé maître de sa typographie numérique 3D. En effet, l’effet de texture intervient selon elle dans la manière dont sont gérés les noirs et les blancs de la lettre. La 3D permet alors de considérer la lettre comme un objet et d’élargir les règles qu’elle applique au dessin. C’est cette approche d’une nouvelle dimension qui la conduira petit à petit à des expérimentations dans le champ du design d’objet. La couture, le tissage de dentelles, les découpes laser et le dessin de lettres au pyrograveur seront pour elle des moyens de créer une ampleur supplémentaire et de définir un nouveau langage graphique en corrélation avec sa démarche de « plasticienne ».

Aujourd’hui enseignante à la KABK de La Haye, Hansje Van Halem emploie davantage ces textures fibreuses et alvéolées dans le domaine de l’édition. Son approche à la fois moderne et féminine déviendra alors un des piliers de l’art illusoire et de l’ornement qu’elle tendra plus encore à développer.

> Pour aller voir son travail : Hansje Van Halem.

Coraline Gaillard, DSAA, LAAB Rennes Bréquigny, avril 2012.

dimanche 11 mars 2012

Le GELI


Le GELI par Tobias Gutmann, étudiant à l’école d’art de Berne.

Des airs de la Tarzana de la fonderie Emigre, une typo de titrage solide et molle à la fois.

Une typo en capitale, de nombreux glyphes, 130 ligatures open-type, et plusieurs graphies de chaque lettre, la GELI offre un large potentiel de variables. 
Le but de ce designer a été de développer une typographie faite main en numérique. Il a cherché à simplifier son dessin pour lui donner une sorte d’esthétique numérique et une facilité d’usage. La GELI n’est plus seulement une imitation de l’écriture manuelle car il combine la souplesse et l’expressivité de la manuscrite à la rigueur de la typographie. Par un fichier open-type le créateur a souhaité permettre une utilisation très intuitive de cette typographie tout est maitrisable au clavier. Tobias Gutmann a même imaginé un panel de ponctuations et de signes visant à mettre en valeur le texte comme le soulignage ou
l’encadrement, mimant encore l’irrégularité du tracé manuel.

C’est ainsi que Tobias Gutmann nous présente une typographie fantaisiste et amusante
réconciliant fait main et numérique.






lundi 6 février 2012

LES PLUS BEAUX LIVRES SUISSES au Centre Culturel suisse


Le Centre culturel suisse présentait en fin d'année 2011 dans sa librairie du 32 rue des Francs-Bourgeois les trente ouvrages récompensés lors du concours Les plus beaux livres suisses. Ce concours annuel, organisé par l’Office fédéral de la culture, a pour objectif de mettre en valeur des publications au graphisme actuel, mettant en avant une conception typographique particulière, particulièrement significatif du graphisme suisse. Le jury en évalue le design et la typographie, la qualité de l’impression et de la reliure, ainsi que les matériaux utilisés, en privilégiant en particulier l’innovation et l’originalité. Lors de ce passage à la librairie, nous avons pu remarquer l'intérêt majeur et récurrent pour la typographie, dans les différents ouvrages. Celle-ci est utilisée comme un élément de composition à part entière. Elle permet dans un premier temps évident, de hiérarchiser les informations. Dans un second temps, elle compose un visuel à elle seule. C’est par l’outil typographique que le visuel se crée. Les judicieux choix de calage ajouté aux soucis majeur de compositions préfigurent une démarche complète et pointilleuse, empreinte du graphisme suisse. Lorsque l'on regarde plus précisément une production en particulier; Radical Mix, Ulrich Kirchhoff EPF Lausanne, sl. (couverture verte fluo). On peut remarquer la manière d'appréhender la typographie, par l'école suisse; l'accent sur le dépouillement, la lisibilité et l'objectivité. Les éléments se distinguent par une mise en page asymétrique, l'utilisation de grilles, de polices de caractères sans-sérif, et l'alignement à gauche du texte, dont le bord droit est laissé irrégulier. La typographie ici est utilisée comme élément principal et structurant de l'ouvrage éditorial, en plus de son utilisation classique pour la compréhension de données écrites.
Cette exposition nous donne donc un aperçu du style typographique Suisse, figure d'un graphisme axé sur la typographie comme éléments structurants.

Marie Lesven,  DSAA, LAAB Rennes Bréquigny, janvier 2012.
 



jeudi 19 janvier 2012

BERTRAND DUPLAT, Les Éditions volumiques, Conférence, Nantes, la chapelle de l'oratoire, association Ping, Musée des Beaux-Arts, mardi 22 novembre 2011

Étienne Mineur et Bertrand Duplat ont fondé Les Éditions volumiques. « (...) une maison d'édition dédiée au livre en papier considérée comme une nouvelle plateforme informatique mais aussi un laboratoire de recherche sur le livre, le papier et leur rapport avec les nouvelles technologies. »1
Auparavant intéressé par les jeux vidéos et pendant une vingtaine d'années 'à l'écran', Bertrand Duplat explique que, Les Éditions volumiques sont un laboratoire de recherches traitant des nouveaux formats et des combinaisons possibles entre le papier et le numérique.

Bertrand Duplat est le co-fondateur du studio de création industrielle Absolut Design en 1990 et de Virtools en 1993 : « société créatrice de l'outil éponyme de création visuelle d'interactivité de gameplay en 3D et inventeur de son interface graphique...»2

La conférence est articulée autour des productions des deux designers.
Ainsi, Bertrand Duplat débute son propos par le projet intitulé Le Livre qui voulait être un jeu vidéo, prototype qui intégre des technologies jusque-là étrangères au livre (capteurs, carte électronique). Chaque chapitre est un mini jeu visuel et tactile qui rend la lecture interactive.

Le Livre qui disparaît voit ses pages se noicir et devenir illisibles au bout de vingt minutes de consultation. L'ouvrage qui semble « s'auto-détruire » est décrit comme une sorte de « hacking du livre » par Bertand Duplat. Techniquement pour obtenir ce résultat, les auteurs ont employé un papier du même type que celui utilisé pour le fax associés à des résistances qui le font chauffer et noircir peu à peu par conséquent.
Mineur (Étienne), Duplat (Bertrand), Le livre qui disparaît. 3

Duckette est une espèce de jeu vidéo-papier qui est réalisé à partir de l'emploi de papier d'imprimante associé à des encres réactives, changeant d'aspect. On peut ainsi percevoir l'apparition ou la disparition de formes sur le papier imprimé en sérigraphie. Un joystick permet de jouer avec un canard pour tenter d'ouvrir une porte vers la page suivante.
 Mineur (Étienne), Duplat (Bertrand), Duckette. 4

Les projets d'Étienne Mineur et de bertrand Duplat utilisent souvent une technologie simple et économique, dite « low teck ».

I Pirate, présente une forme d'interaction entre le papier et le téléphone portable sur la base classique d'un jeu de plateau. Le téléphone devient un vaisseau voguant à l'aventure sur les océans et en conservant la mémoire de ses exploits passés.5

Étienne Mineur et Bertrand Duplat travaillent actuellement avec Milan Jeunesse à l'édition d'un atlas : avec le téléphone des parents, l'enfant peut voir de la vidéo, les animaux situés à tel ou tel endroit, etc.
Il est intéressant de constater à travers cet exemple la porosité, le passage entre la « recherche fondamentale » conduite par Les Éditions volumiques et les possibilités d'applications développées dans le secteur économique, en l'occurrence ici avec un éditeur important.

Le projet Feelers utilise la technologie de l'Ipad associée à des pions/personnages (« pawns with animated faces ») réalisés en fibre optique. Le matériau permet de visualiser des visages animés à l'emplacement de la tête du pion/personnage en reproduisant l'image apparue sur l'écran de la tablette numérique.

Ainsi, toutes les réalisations d'Étienne Mineur et de Bertrand Duplat jouent avec la relation entre le virtuel et le matériel, le tangible et le numérique.

Enfin , le projet Balloon est composé par l'utilisation combinée d'un Ipad, d'un livre et d'un ballon en pop-up qu'on pose sur l'écran. L'utilisateur est simplement invité à faire défiler le paysage à vol d'oiseau qui s'affiche sur la tablette numérique.

Ce projet simple technologiquement (sans interaction technologique) renvoie à l'idée générale contenue dans les projets des Éditions volumiques et expliquée ainsi par Bertrand Duplat lors de cette conférence : « On commence vraiment nos projets par un pensée magique ».

La semaine précédente, une table ronde animée par Lorenzo Soccavo avait lieu à La Cantine nunérique de Rennes.6 Le prospectiviste expliquait la disparition prochaine, totale et rapide du livre papier au profit du développement des formats d'édition numérique. Demandant ce qu'il pensait à propos de cette affirmation, Bertrand Duplat propose une vision opposée à celle de Lorenzo Soccavo, expliquant que la dimension affective du livre est très grande et qu'il y a une place pour le livre qui a une dimension tangible associable au numérique.

C'est en tout cas ce que semblent démontrer les projets conçus par Les Éditions volumiques dont les projets se distinguent par leur caractère low teck, par une volonté d'associer le tangible et le numérique, et par leur forme poétique. Il est intéressant de constater que des éditeurs jeunesse s'intéressent à leur travail. L'intérêt pour les nouvelles technologies associées à l'édition n'est pas nouvelle d'ailleurs si l'on prend l'exemple de l'encyclopédie Dokéo, Comment a marche, éditée par Nathan.


Yves Guilloux, Enseignant DSAA, LAAB Rennes Bréquigny, 02 février 2012.


1- MINEUR (Étienne), DUPLAT (Bertrand), Les Éditions volumiques [en ligne], disponible sur http://www.volumique.com/fr/, consulté le 15 janvier 2012.
2- Ibid.
3- Ibid.
4- Ibid.  
5- Ibid.  
6- SOCCAVO (Lorenzo),  Les rendez-vous du numérique : Une Nouvelle génération d'éditeurs, Rennes, La Cantine numérique, 16 novembre 2011.